Petite chronique de la violence quotidienne

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Petite chronique de la violence quotidienne

par Bill

Mercredi matin, temps ensoleillé, températures légèrement au dessus des normales saisonnières, réveil tout de calme et de volupté bercé par la célestissime musique quotidienne des bagnoles, camions de l’atelier d’à côté et autres sirènes diverses ; Le bonheur quoi ! Et soudain bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Puis les hurlements d’agonie d’un animal torturé et des coups, des coups. Il hurle et démolit son appartement, de balcon à balcon on s’interpelle, les plus téméraires descendent dans la cour. Le dialogue, multiple et questionnant, essaie de couvrir les cris déments et les bruits de démolition. La question principale et obsessionnelle : il a tiré ce con ? Et si oui, avec quoi ? Et sur qui ? Les experts (ils sont nombreux dans la cité, des hommes, des vrais – 9mm, 22, bref avec quoi il canarde l’autre barge ? Ce qui semble faire consensus, c’est qu’il a arrosé vers la cour dans laquelle des mômes s’entraînaient à devenir Zidane. Pendant ce temps, l’autre a décidé d’agrémenter cette journée déjà si particulière, d’une installation de son cru : vol de divers flacons de boissons alcoolisées, malheureusement vides, séchoir à linge, morceaux de porte ; la cour s’embellit. La police arrive, débordée et en sous-effectif comme de coutume, nullement accréditée pour ce genre de situation. Après avoir été agonie d‘injures, la police appelle les pompiers qui ne peuvent pas venir, en sous-effectif eux aussi : ils sont pris par d’autres priorités.

Ayant fini de dévaster tout ce qu’il pouvait, voilà que notre artiste décide d’expliquer au monde les raisons de sa colère : sa mère l’a abandonné à 10 ans, personne ne s’occupe de lui, ses tuteurs l’ont jeté aux oubliettes. Bref, un dévasté de l’existence nous décrit son calvaire quotidien. D’après d’autres voisins, c’est un brave type en général, mais seuls l’alcool et la dope lui permettent de supporter sa misère ce qui déclenche des crises de décompensation paranoïaque. Quant aux urgences psychiatriques, elles n’ont pas donné signe de vie. Ce secteur médical, laissé à l’abandon parce que devenu trop coûteux (le nombre de maladies mentales explosant), est notoirement devenu incapable de pouvoir prendre en charge des cas aussi lourds. Dans ce secteur, la désertification médicale est telle qu’un grand nombre de praticiens sont originaires d’Europe de l’Est. Le voisinage, devant l’inertie administrative, discute, et envisage même des mesures drastiques d’autodéfense préventives. Ah qu’elle est belle cette guerre des pauvres contre d’autres pauvres ! Pendant qu’ils laissent leurs ressentiments exploser et s’entretrucident, le pouvoir qui les a poussés à ce désespoir peut continuer à les essorer. Des penseurs avaient imaginé que de ce type de colère pouvait naître une conscience appelant au dépassement de ce monde. Mais il y a longtemps, que là où règnent les conditions modernes de la domination, toutes les folies, et pour les moins bêtes les illusions, s‘étalent à l’envie. L’abîme s’est repeuplé et les damnés sont nombreux qui hurlent depuis leur balcon, appelant des secours qui ne viendront jamais. Le projet, conscient ou inconscient, peu importe, du capitalisme est bien de voir crever, et de les y aider, toutes les catégories de la population non rentables, et la crise de la valorisation, dont elle est la conséquence, ne lui permet plus de les supporter financièrement. Les déviants de tout poil, les chômeurs, les vieux, les malades, les avantages gagnés de haute lutte par les prolos, tout cela doit disparaître afin d’essayer de sauver un taux de profit qui tangue dangereusement.  Alors qu’un énième dément hurle et tire dans une cité sans grande importance d’une ville en coma, qui cela peut-il toucher ? Mais les balles perdues ne font pas de distinction, que l’on soit « en marche » ou assis. La violence n’est jamais gratuite, souvent elle n’est que le cri de désespoir du malheur déchaîné. On apprend tôt ou on apprend tard, mais toujours à ses dépens, sauf les cons qui n’apprennent jamais rien !

PS : il est revenu ! Au secours !!

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